Aller de soi

ou

le parti-pris du désert

 

 

I. − Ceux qui se dévêtent
religieusement
pour la cérémonie solitaire

 

II. − Deux serpents bouclés
rentrent dans la pierre
Une part d'ondulation
flotte encore
sur la plate-forme brûlante
Autre serpent
qui vaillamment nage
la tête jaune hors de l'eau
En travers du courant
il rejoint l'autre rive
Et moi je prends la place
encore chaude
sûr de mon innocence

 

III. − Corps, rocher
soleil
mais je reconnais
le triangle
le sexe d'herbe noire
et surtout ah surtout
le chapeau
immense, gondolé
qui pend sur les côtés
affamé du sang
reconnu dans les yeux
fous de blanc

 

IV. − Acuité des ongles
des corps
des pierres
qui entrent dans ma peau
y prennent racine
en ces trous de sang
que je cultive

 

V. − Reçu tes yeux gris
audacieux
ton corps dans son élan
Ici, penses-tu,
pensé-je,
quand nus nous nous croisons sur la corniche
nous sommes antérieurs
faits de chair
et d'une sauvagerie
qui respecte la vie
ah combien délivrés
d'être réduits à cette faim

 

VI. − Tandis qu'un léger vent glisse sa tête de couleuvre
entre mes cuisses
René passe sur son char
fouettant la poésie qui lui obéit

 

VII. − Venez donc nager avec nous
faire la descente à partir des graviers
jusqu'au défilé
et voici
nous nous laissons entraîner
emporter
d'abord pédalant puis
brassant
nus dans l'eau avec
cette femme obus
et ces troncs déracinés

 

VIII. − Boujour, dit-elle
et je ne reconnais pas cette femme
parce qu'aujourd'hui elle
est assise
et semble fine, de cette finesse désinvolte
qui est mon type
J'étais encore au souvenir
de son ventre
et des énormes cercles violets
braqués sur moi
encore aux discours de l'homme
protecteur au-dessus de la
minuscule verge perpendiculaire
seul point commun avec son frère aux yeux rieurs

 

IX. − Privilégiés, dis-je, ils répliquent ah non
quel serait notre privilège, je réponds le soleil
la rivière, mais ils hochent tristement, hypocritement la tête
ils savent ce qui s'est passé, l'impardonnable
bah tout le corps leur a tourné comme la tête

 

X. − Les viornes les viornes dont les nervures branchent
l'horizon sur une poésie non douteuse
surtout le frissonnement des térébinthes
aux pucerons gris ou jaunes hermaphrodites
les myrtes les myrtes mythologiques de ce pays
qui porte Mallarmé les fesses en clair obscur

 

XI. − Oh je pense et repense
à la Chine
que j'aime par-dessus les distances
admire et plains, la Chine

 

XII. − Comprimé je me déverse en ces notules
comme on se venge d'une trop poignante oppression
en pissant contre un paysage de ferrures
en crachant sa vie dans le soleil

 

XIII. − Déclinez votre nom et prénom race et qualité
le parti auquel vous adhérez
les slogans que vous dégoisez
le bonheur que vous arborez
déclinez ou plutôt
déposez
à la porte qui n'existe pas
La toilette
les décorations
le métier, la religion
les bijoux
la toge
les papiers, le nom
l'âge
on a tout laissé, c'est vrai
à la porte qui n'existe pas

 

XIV. − Soudain je m'en fous
ce qui m'a torturé
pendant l'hiver
l'argent, la culpabilité
le mal que j'ai fait
cela n'est rien
cela n'a pas été
Je suis matérialisé
par le défi du soleil

 

XV. − Collias Colliados
col de la fouine qui m'a frôlé
hanche de la fille qui m'a frôlé
Ici chacun est nu et ne veut
qu'être nu
Collias la grecque
définir, édifier
un art
une morale
une civilisation
les valeurs du corps
Ceci est l'autre monde
celui-ci même allégé
la lumière
qu'il fallait inscrire
et c'est pourquoi j'inscris

 

XVI. − La poésie instrument de puissance
laissez-moi rire
Je l'appelle à moi pour détruire
le signe même de la puissance
S'appartenir
être
aller de soi
Collias Colliados
nuit de nuit
poème de poème
aller de soi
Je l'appelle à moi pour détruire
la possession
écarter tous ces possédés
de la puissance
Dieu de Dieu
le poème pour établir
le privilège de séparation
J'appelle la fin du couple
j'appelle la fin du groupe
j'attends la fin des docteurs
je ne proclame

 

XVII. − Deux nus en travers du chemin
face à face racontant
deux nus debout dans le chemin
peaux accolées
Nous passons
fortifiés
par la liberté

 

XVIII. − Et chacun naturel
passe s'arrête
affirmant la loi nouvelle
aussi opaque
aussi étonnante
que l'ancienne