Communauté à plusieurs voix

 

 

I. − Je me mets en boule
pour aspirer
le poème
Eh bien mettez-vous à votre aise
enlevez votre pantalon
Je me bouche les oreilles
pour aspirer le
poème
Mais oh ma mémoire qui baise
en bâton de chaise
oh la nuit qui dévore
mon corps qui m'oublie
mon soleil démoli

 

II. − Le jeans d'un gars perdu de vue
un livre qui devrait être là
des portes qui ne ferment pas
une culotte de ver à soie
la poésie, la tradition
on mange à la gamelle
L'essentiel c'est de
dialoguer
l'amour serait le meilleur moyen
on peut se parler sans rien dire
débat qui apporte à chacun
lente circulation des lits
des vêtements, des sous, peu fréquents
pieds nus les gars, on vit à ras
du plancher
J'aime beaucoup avec toi l'amour
on parle moins compliqué
et puis le moment du café
Un sioux digère sa guitare

 

III. − Bien connaître, dis-tu
c'est toucher
tu ne peux t'empêcher
de manier
et de ton familier
mouvement latéral
tu pénètres en moi
tu vas au fond
et tu y cristallises
des illogismes
qui se mettent à fleurir
dans un furieux bruit de queues
de bêtes enténébrées

 

IV. − Un clochard qui fait la loi
m'écrase d'un air peu amène
mais un coup de vent me rassure
à travers les grands cheveux d'Idir
Le pissenlit Ben me sourit
avant de rejoindre son voleur
et je m'allonge les yeux clos
sur un coin du tapis trouvé

 

V. − Trois vies de front
quatre ou cinq vies
tu t'en sors
mais avec quel
mal à la tête
Tu assembles, tu
convoques, tu visites
tu dialogues
tu tisses des liens
mais aussi cela fait
des nœuds

 

VI. − T'as fait ton anglais, con
c'était dur, con, qu'en penses-tu, con
et t'as fait ta rédac, ton poème, con
t'as trouvé les mots pour cette fille, con
et puis lave-toi le corps, les cheveux, les dents
la délicatesse, con, importe

 

VII. − La baignoire est à deux kilomètres
un bain coûte deux cigarettes
facultatives, c'est pour l'honneur
l'argent est sale, chacun le sait
c'est pourquoi vous ne devez pas
ainsi fréquenter des voleurs
c'est pourquoi vous ne devez pas
cochonner les lits et les cœurs

 

VIII. − Ca finit toujours à l'hôpital
c'est constamment l'accident
à vrai dire il y a une malchance
chaque fois l'outil est en miettes
pas moyen de le réparer
heureusement on s'en tire
avec de la glace sur la tête
machine vachement solide

 

IX. − Pitié, pitié, j'écouterai
j'écouterai parler pitié
je sortirai de moi-même
je le promets
mais le pourrai-je devant
tous ces demi-fous qui en veulent
aurai-je pitié de moi
de moi qui ne sais
si ce que tu me donnes
c'est pour moi

 

X. − Il souffre par Jacques
il veut reprendre Jacques
il se bute pour ravoir Jacques
afin
d'être malheureux par Jacques
de ne pouvoir faire l'amour avec Jacques
de se suicider encore une fois pour Jacques
c'est le caprice
c'est le défi

 

XI. − Il fait ce qu'il veut de ses mains
de ses narines, de ses sourcils
la lèvre supérieure
le menton fendu
il abat le poignet, le relève
ramasse la mise
sèchement, ferme, ouvre un œil
bouge une oreille
il pense à son gré, parle toutes les langues
toutes les bêtes
empile les masques, il feint le drame ou la paix
déchaîne une trombe d'images
organise le délire, ramène le calme
il est le maître incontesté, Goebbels
Mais l'amour vient de l'autre
Ce qui m'étonne, ce sont les yeux
blancs où des taches vertes louchent
et qui semblent d'une statue
impuissante à réaliser
le hara-kiri sexuel

 

XII. − Il se frottait les mains
quand il entendait pleurer
une femme dans la forêt
il se frottait les mains
quand les élections tournaient
du mauvais côté
il se frottait les mains
chaque fois que quelqu'un mourait
en disant c'est fait, voilà qui est fait
on n'en parlera plus, c'est ennuyeux d'attendre
toujours attendre
il se frottait les mains
pour les user

 

XIII. − J'ai dit, affirmé que
je ne suis pas jaloux
et voilà
que je languis
je ne te verrai pas ce soir
je pense à ce privilégié
Ah si j'avais les dents en bouillie
le cul purulent
un million de dettes
ou si j'avais assassiné quelqu'un
j'aurais droit à
l'amour

 

XIV. − Une petite femme sans rien
qui sème la panique en rien faisant
mais elle va de l'avant
Modeste elle couche sur un grabat
elle est mince et sans poids
chacun la croit à soi
Quand on la tient, il faut savoir, je vous le dis
en profiter parce que
c'est alors qu'elle est soumise et douce
et fait tout ce qu'on veut pourvu qu'on
n'ait pas de com-
plexes

 

XV. − Oui mais on n'est jamais seul
la porte s'ouvre pour un oui pour un non
pour moins que ça
elle est bloquée par une
corbeille à papiers
Et si c'était le jaloux
avec son revolver
Nus on court en tous sens en poussant
d'affreux cris
vers les issues qui
n'existent pas, hélas, c'est une vraie
souricière
Alors, c'est ça, la liberté totale

 

XVI. − On n'est pas chez soi, les portes
claquent exprès, au moment précis
de la lettre qui dure des mois
du poème ininterrompu
La vaisselle est une rude
épreuve pour celui qui
ne la fait pas
Et puis il y a les mensonges qui n'en sont pas
les mots un peu à côté
les têtes entremêlées
les culs qui se superposent

 

XVII. − Je suis pour l'isolement
en le splendide manoir
de la récapitulation permanente
Je suis pour les paroles bien précises
comme le voulait Descartes
et que les projets, les rendez-vous
les têtes sur les jambes
tiennent

 

XVIII. − De temps en temps
tout est par terre
les habits, les coussins, les sacs
tissés à la main
la machine à écrire, le camping gaz
On met de l'ordre
On cherche les objets
Où sont-ils
Chacun prend
c'est comme à la caserne
de l'un à l'autre vont
les pantalons
les blousons
les cons

 

XIX. − Cette expérience du poids
poids du corps, des mains
de la tête
poids des souvenirs, des problèmes
sans solution
des solutions
pareilles à des aboiements de chiens
la nuit quand le mistral
souffle depuis un nombre de jours
multiple de trois
ce qui est faux comme la voix
des chiens
comme ma voix